News Carte Blanche

25.11.2022

« Marché du travail au Rhin supérieur – Défis, potentiels, chances »

France-Suisse : mieux se connaître pour mieux coopérer
Emilie Brandt, Responsable du bureau de Bâle, CCI France Suisse

La main d’œuvre étrangère est incontournable en Suisse. Elle représente près de 25% de la population active. Le nombre de frontaliers en Suisse a doublé en 20 ans. Aujourd’hui, sur les 340'000 travailleurs qui traversent quotidiennement la frontière, plus de la moitié sont français soit près de 190'000 personnes. Pour les travailleurs dans les régions frontalières, l’attractivité des salaires est un atout majeur en faveur de la Suisse. En effet, le salaire médian y est d’environ 6’500 francs contre un salaire médian en France à 1’789 euros. Pour les entreprises, la fiscalité suisse est également un aspect très attractif. Cependant, pour travailler en Suisse et en particulier dans la région de Bâle, dans la majorité des entreprises (des PME à 90%), il faut maîtriser l’allemand, accepter de travailler plus (42 heures en Suisse contre 35 heures en France) et dans certains secteurs avoir un diplôme qui soit reconnu par le système suisse. Et c’est sans compter les différences de culture entre les deux pays voisins. 
Voici quelques différences marquantes qui vous permettront de mieux appréhender les relations avec l’autre côté, que ce soit dans le cadre d’une recherche d’emploi, d’un recrutement, ou du management d’équipes multiculturelles.

En termes de communication, là où le suisse est précis et va à l’essentiel, le français est rhétorique et contextuel. Là où le Français est direct et expressif, le Suisse est consensuel et dans la nuance. Cela crée des incompréhensions et des interprétations de part et d’autre et des stéréotypes qui ont la vie dure. Il faut en avoir conscience lorsqu’on échange avec l’autre côté. Dans une équipe multiculturelle, organiser par exemple un atelier sur ce sujet permet de casser des barrières et d’encourager la compréhension mutuelle.

De grosses différences existent également dans le processus de décision et son application. L’organisation politique décentralisée suisse et le fort pouvoir de décision qui est attribué aux cantons se ressent aussi dans le monde de l’entreprise. En Suisse, une décision est le fruit mûri d’un long, parfois très long processus consensuel. L’application de la décision quant à elle est rapide, respectée et efficace grâce à ce travail préparatoire. A l’image de son système politique hypercentralisé, le processus de décision en France peut paraître plus chaotique aux yeux des Suisses. Les décisions sont prises très rapidement, mais elles sont souvent remises en question au moment de les appliquer, car c’est seulement au moment de la réalisation de la décision que le groupe est consulté et que les débats apparaissent. Une bonne cartographie des acteurs, qu’il faudra finalement convaincre après avoir décidé, permettra d’appliquer une décision plus efficacement. Un manager suisse peut appréhender d’avoir à faire à une direction trop centralisée en France et pourra montrer une certaine réticence à ce sujet.

Enfin, qu’on se le dise, le rapport au temps peut vite devenir un point de friction, car la ponctualité suisse est incompréhensible aux yeux des Français, pour qui arriver avec 15 minutes de retard est tout à fait acceptable. Pour un Suisse, ne pas annoncer un retard est au contraire une marque de profond irrespect. Avoir bien conscience de ces quelques notions permet de ne pas froisser son interlocuteur, que ce soit dans le cadre d’un entretien d’embauche, d’un poste de management, de la gestion d’un projet ou lors d’une réunion d’équipe. En tenant compte de la situation économique actuelle et de ces différences interculturelles, sur quels axes faut-il travailler dans le Rhin supérieur et quelles opportunités la relation franco-suisse offre-t-elle aux recruteurs et aux travailleurs ?

La formation, scolaire ou continue, est une première clé pour améliorer la qualité de la main d’œuvre et en particulier dans le domaine des langues étrangères. Mais comment comprendre son voisin quand de plus en plus de cantons suisses alémaniques repoussent l’apprentissage de la langue française à l’école primaire au profit de l’anglais tandis que les professeurs d’allemand en France sont devenus une denrée très rare ? Ces facteurs ne facilitent pas la coopération franco-suisse dans le monde économique du Rhin supérieur. Il en résulte le passage à l’anglais, obligeant chacun à parler une langue étrangère. Pensons au principe du « chacun dans sa langue » cher aux administrations suisses et qui gagne à être appliqué au monde de l’entreprise. Des initiatives comme des diplômes bi- ou trinationaux, les échanges entre les écoles ou les classes bilingues doivent être encouragés, dans l’ensemble de la région et même au-delà du Rhin supérieur, afin de continuer de sensibiliser la jeunesse à l’attrait des pays voisins qui font la richesse de notre écosystème. La formation continue avec par exemple la proposition de cours d’allemand comme le font certaines entreprises de la région de Bâle pour leur employés français sont aussi d’excellents moyens d’intégration et de fidélisation de la main d’œuvre. Pour ce qui est des équipes interculturelles en entreprise, une clé de succès est indéniablement de faire accompagner les équipes pour les rendre conscientes de leurs différences et les aider ainsi à mieux se comprendre pour mieux coopérer.

Les 1’700 implantations d’entreprises françaises en Suisse offrent également de nombreuses opportunités d’emplois. L’attrait de la Suisse pour les entreprises françaises ne fait qu’augmenter. Nombreuses sont les demandes qui nous parviennent, notamment pour des implantations en Suisse alémanique en particulier dans la région de Bâle. Ces entreprises sont actives aussi bien dans le secteur de l’informatique que les produits et biens de consommation en passant par les services, la construction ou encore le médical et paramédical. Les enseignes françaises présentes à Bâle telles que Maxi Bazar, 5 à sec, Etam, Bonne Maman, Décathlon, L’Occitane ou Fnac sont un bon exemple de cette activité dynamique. Sans compter sur les géants français du traitement des déchets, de l’énergie ou de la construction tels que Bouygues, Véolia, Paprec, Eiffage ou Primeo Energie, tous présents dans la région, créatrices d’emplois et de valeur, souffrant parfois aussi des effets d’image et d’interculturalité. 

Enfin, une reprise de la discussion sur les accords bilatéraux entre la Suisse et l’Union Européenne et un accord définitif entre la France et la Suisse concernant l'imposition des frontaliers exerçant en télétravail à la suite des mesures prises dans le contexte de lutte contre le COVID-19, espéré pour la fin de cette année, faciliteraient encore la situation de l’emploi dans les régions frontalières. 
Malgré leurs différences et parfois leurs désaccords, la France et la Suisse sont plus que des voisins. Nos deux pays sont historiquement étroitement liés et sauront encore à l’avenir trouver des solutions pour continuer de bien coopérer, en particulier dans les écosystèmes frontaliers tels que le Rhin supérieur. Lors d’une recherche d’emploi ou d’un recrutement, compréhension mutuelle des différences et ouverture d’esprit restent les maîtres mots pour sortir son épingle du jeu. Français et Suisses peuvent devenir complémentaires et créer ensemble une belle valeur ajoutée.

Avec la Carte Blanche nous offrons aux professionnels une plate-forme, où ils peuvent donner des impulsions sur la coopération transfrontalière et exposer leurs visions sur le développement dans le Dreiland. En 2022, nous publions des articles au sujet « marché du travail au Rhin supérieur – défis, potentiels, chances ». 


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